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Blog de Jean-Louis Savignac
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27 avril 2010

Interview de Corbeyran, invité d'honneur de Blanc sec

DSC_2626Entretien avec Eric Corbeyran, 

( invité d'honneur du festival « Blanc sec » de Sens 22 et 23 mai 2010)

http://www.blanc-sec.com/

L’éternel curieux

Le plus prolifique des scénaristes de bande dessinée a pignon sur rue à Bordeaux, ville il est installé. C'est une façon, pour l'artiste de ne pas rester dans une tour d'ivoire, mais de s'ouvrir au monde qui l'entoure.

Jean-Louis Savignac.- Nom, prénom, âge et qualité ? 

Eric Corbeyran.- Je n'ai qu'un nom : Corbeyran. Eric, c'est pour les copains. Pour les lecteurs, je préfère Corbeyran qui est un pseudo, d'ailleurs. L'orthographe de mon nom est différente. Il n'y a pas de « Y » et il y a un « D » à la fin. Je suis scénariste de bandes dessinées. Et j'ai cette année 45 ans.

J.-L. S.- Tu es né à Marseille et tu es installé à Bordeaux. 

E. C.- Mon père était fonctionnaire et on a beaucoup bougé. Le choix de Bordeaux était plutôt guidé par le fait que mon premier dessinateur Patrick Amblevert  était bordelais (Les griffes du marais paru chez Vents d'Ouest en 1990 NDLR) . 

J.-L. S.- Comment s'effectuent les rencontres avec les dessinateurs qui travaillent pour toi ? 

E. C.- Chaque album, chaque série est avant tout une rencontre. Avant de livrer un scénario, il faut d'abord se connaître, se rencontrer, discuter, savoir un petit peu ce que l'un peut apporter à l'autre. Savoir ce sur quoi le dessinateur a envie de partir. Savoir ce qu'il a sur le cœur. Quel est son style, quel est son univers de prédilection, quelles sont ses envies, ses désirs, ses passions. Il faut cerner la personne à qui on s'adresse. 

J.-L. S.- Comment procèdes-tu ? Fais-tu fonctionner tes réseaux ? Tes copains ? 

E. C.- Encore une fois, ce sont les rencontres qui nous amènent à travailler avec untel ou untel. Un festival est une occasion de rencontres. Parfois, on se connaît déjà, on se découvre, on a envie de travailler. Ce sont les hasards de la vie qui font que les gens se croisent. Je n'ai pas de réseaux. Je travaille avec beaucoup de personnes, mais ça n'exclut pas le fait qu'il y ait de la place pour les autres et puis il y en a qui veulent continuer à travailler avec toi et d'autres qui souhaitent arrêter où voler de leurs propres ailes ou travailler avec quelqu'un d'autre. Je n'ai pas le monopole d'un groupe de dessinateurs. Après, une fois que l'on sait à qui l'on s'adresse, le travail effectif va commencer : c'est-à-dire raconter une histoire. Ça passe chez moi d'abord par un synopsis, comme chez la plupart des confrères. Je ne suis pas super fan de l'exercice du synopsis, mais c'est une figure imposée. 

« Je n’aime pas livrer trois planches par ci, trois planches par là »

J.-L. S.- Quand tu travailles avec un dessinateur, donnes-tu la totalité du scénario ou bien fragmentes-tu les choses ? 

E. C.- Une fois que tout le monde est d'accord sur le synopsis, je découpe. C'est le document proprement dit, celui qui va narrer l'histoire. C'est le document qu'on va remettre au dessinateur et qu'il sera le seul à lire. Et ça, j'aime bien le faire d'une seule pièce. Je n'aime pas trop livrer trois planches par ci, trois planches par là. Beaucoup font ça, moi je ne sais pas faire. J'ai appris à l'école de l'album. Je ne suis pas un enfant du magazine. Dans mon premier boulot, j'ai écrit 46 pages et j'ai livré 46 pages. C'est comme ça que j'ai commencé et c'est comme ça que je fais toujours. Ça permet d'avoir une vision globale. Et ça me permet de me concentrer sur cette vision globale pendant à peu près un mois et de ne pas m'éparpiller. Le dessinateur préfère souvent cette façon de travailler. Elle lui permet d'anticiper sur les séquences. 

J.-L. S.- Que livres-tu ? Uniquement du texte ? 

E. C.- Oui, uniquement. Au début de ma carrière, j'ai fait quelques story-boards, mais j'ai vite abandonné. Les dessinateurs ne sont pas friands de ce genre de document. 

J.-L. S.- Pensent-ils qu'on empiète sur leurs prérogatives ? 

E. C.- Oui, et puis surtout, ils préfèrent avoir l'esprit libre pour réfléchir sur le sujet à leur manière et c'est vrai qu'un croquis induit un angle, des infos. J'ai des contraintes aussi quand j'écris un scénario. On est tous sous la contrainte. Et il faut savoir, une fois qu'on a livré le scénario, oublier ce qu'on a mis dedans pour se laisser à nouveau séduire, surprendre par le travail du dessinateur. C'est un exercice d'oubli. Il faut écrire. Le dessinateur ne doit pas être un prolongement de l'esprit du scénariste. 

J.-L. S.- Comment naît un scénario ? Qu'est-ce qui alimente ton inspiration ? 

E. C.- Ça peut naître de plusieurs manières. Ça peut naître de la rencontre et de l'échange. Certains univers…je pense au Régulateur… (Le Régulateur, avec Marc Moreno au dessin et paru chez Delcourt NDLR) sont nés car l'univers du dessinateur invitait à ce type de récit et ensuite, moi, j'imagine une trame qui pourrait venir se fondre dans les décors. Certains dessinateurs viennent avec des idées. Enfin, plus classique, j'ai une idée et je cherche quelqu'un de suffisamment talentueux pour la développer avec moi. Alors, mes idées, je vais les puiser un peu partout, dans mes lectures, dans mes échanges, dans mes rencontres. J'ai de multiples sources. Au détour d'une phrase d'un roman, on peut voir une séquence ou un chapitre de sa prochaine BD. En fait, l'inspiration, telle que je la définis, c'est être en réseau, à un moment donné. Tu as des grands espaces remplis de thèmes et puis ces thèmes vont trouver une résonance avec ce que tu lis, ce que tu vis, ce que tu regardes. Et ce moment de résonance crée une petite étincelle. Je ne dis pas que ça arrive tout le temps. 

J.-L. S.- Mais c'est arrivé beaucoup, dans ton cas. Près de 200 fois ? 

E. C.- 200 oui. Mais l'inspiration, c'est un tout petit moment. Et tout le reste c'est de la technique. Les gens fantasment beaucoup sur l'inspiration. On n'est pas inspiré toute la journée. 

« Les tableaux d’Ugarte m’ont bouleversé »

J.-L. S.- Parfois, on se trouve confronté au travail d'un autre. Je pense à Ugarte dont les peintures ont inspiré la série « Le Territoire ». Comment as-tu travaillé dans ce cas de figure bien précis ? 

E. C.- Avec Jean-Pierre Ugarte, (Le Territoire ; dessins de Espé ; 6 tomes parus chez Delcourt. NDLR) les choses se sont passées ainsi. Je ne le connaissais pas. Je ne connaissais pas son boulot. On m'a dit, un jour d'aller à la galerie du Troisième œil et que quelque chose allait me plaire. Ça m'a bouleversé. Et chaque tableau m'inspirait une dizaine de récits. J'ai réussi à obtenir ses coordonnées. On a fini par se rencontrer. C'est un fan de BD. On a cherché un terrain commun pour s'exprimer. C'est passé par plusieurs phases. Rien n'a abouti et je suis revenu à mes fondamentaux et j'ai pensé utiliser ces tableaux comme levier imaginaire d'une série fantastique et ça a donné « Le Territoire ». Cela a été des années de recherche dans tous les sens. Ça a été un déclencheur visuel et j'ai un imaginaire qui fonctionne plutôt de cette manière là. 

J.-L. S.- Comment travailles-tu avec les dessinateurs ? Dialogues-tu ? Echanges-tu ? 

E. C.- Oui. Il faut que le dessin soit en harmonie avec le récit. Il faut que ça percute. Ça devient un couple. Ensuite on discute. Il faut savoir si nous sommes faits pour nous entendre. Il y a un cloisonnement de fait, parce que nous avons chacun un boulot. J'écris, il dessine. On ne travaille pas sur le même rapport de temps. Il y a cette notion de duo qu'il faut fabriquer. Alors, après, le duo fonctionne ou pas. 

J.-L. S.- J'imagine que le dessinateur te montre son travail au fur et à mesure. 

E. C.- Je considère qu'un scénario n'est qu'une voie d'accès pour raconter une histoire. D'abord c'est la mienne. C'est celle que j'ai choisie. Donc j'estime qu'un dessinateur qui veut travailler avec moi est intéressé par ma manière de raconter l'histoire. Donc si le dessinateur vient me voir, que je lui livre un scénario et qu'il s'amuse à changer toutes les cases, on ne va pas être d'accord très longtemps. Donc, dans ce duo, il faut que les deux parties s'y retrouvent. Je dois livrer un scénario suffisamment explicite pour susciter chez lui l'inspiration et lui doit me rendre quelque chose qui me satisfasse, dans le sens ou je me sens concerné par ce qu'il vient de faire. C'est mon « scénar », mais il a amené quelque chose en plus. 

J.-L. S.- Tu es dessinateur. Imagines-tu l'inverse ? Qu'on t'apporte un scénario et que tu dessines ! 

E. C.- Non, je ne l'ai jamais imaginé. Je l'ai exclu parce que je crois que je ne suis pas un bon dessinateur. Et je me souviens quand je faisais moi-même mes propres scénarios, j'avais tendance à tomber dans la facilité. Parce que j'avais des carences en dessin qui m'amenaient vers une simplification. Donc, il est hors de question aujourd'hui que quelqu'un vienne avec un scénario pour me mettre au boulot. Et puis je n'ai pas le temps. Et pas l'envie. Je crois que je n'avais pas de style de dessin. Et je crois que cela m'a conduit à travailler avec autant de dessinateurs différents.  En tant que scénariste, je suis capable de m'adapter à un grand nombre de styles et de genres. Ma curiosité fait que je suis beaucoup plus caméléon et je crois que c'est une qualité quand on est scénariste. C'est une qualité que je cultive et je sais qu'elle est appréciée par mes collaborateurs. 

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Enfant : L’univers de Tout l’Univers…et d’Astérix

J.-L. S.- Que lisait le petit Corbeyran quand il était enfant ? 

E. C.- Il y avait deux choses sur l'étagère du salon de mes parents qui ont fait qu'aujourd'hui je suis scénariste. C'est Tout l'Univers qui était sur la même étagère qu'Astérix. D'un côté les quadrilatères, les fleurs des champs, les gallo-romains, etc. Et de l'autre côté, il y avait une manière de raconter. J'ai eu accès à cette littérature là très tôt. Et au fond quand je regarde ce que je fais, je me rends compte que je m'intéresse à tous les sujets, comme dans Tout l'Univers. Quand je fais une bande dessinée aujourd'hui, j'ai la même démarche que quand j'étais gamin. Je fais une recherche. J'apprends des choses et ces choses, je les retranscris. Je vais sur les lieux quand c'est possible, j'interroge les personnes, je vais sur les sites internet, j'achète beaucoup de magazines. On apprend tous les jours quelque chose dans ce métier. Par exemple, j'ai lu un bouquin sur un trader. Je ne comprends rien à la Bourse, mais j'ai un scénario à faire dessus et du coup, je suis en train de découvrir comment vit et pense un trader. Donc j'interroge mon banquier, je lis. C'est aussi ça, être en phase avec la vie. 

J.-L. S.- De Tout l'Univers, on passe à Métronom', ton dernier album ! 

E. C.-  On est ici aujourd'hui, même si on a dessiné des vaisseaux spatiaux. Et des planètes et même si la société semble être la société de demain, c'est juste une vision lucide et exagérée de notre univers.  Moi, je n'utilise que rarement la science-fiction, mais ma science-fiction à moi, ne décrit jamais le futur. Elle se borne à décrire le présent. C'est un constat lucide que j'ai fait il y a vingt ans. Métronom' (Dessin de Grun, paru le 10 mars 2010 chez Glénat NDLR) est un de mes premiers scénarii que j'ai réécrit plusieurs fois et qui a finalement trouvé acquéreur auprès des éditions Glénat. C'est une vieille idée. En musique, le métronome rythme. Il encadre le temps. Mais au fond, il ne fait que rythmer le temps, il ne compte pas le temps. Et cette idée de temps éternel, m'a donné le thème de Métronom', c'est-à-dire enfermer les gens dans un éternel présent. En gommant leur passé en rendant l'avenir inaccessible. On est dans le présent et on est prisonniers de ce présent. Et c'est comme ça que l'Etat, dans Métronom', tient la population. 

« Je pense que c’est par l’échange qu’on avance »

J.-L. S.- Tu tiens donc un discours militant ! 

E. C.- Oui c'est militant. Disons que c'est pour rester éveillé. Je n'ai pas de message politique de droite ou de gauche. C'est davantage un message politico-philosophique. Quelle que soit la région du Monde, quel que soit le régime en place, restons vigilants. Ce qui m'a étonné dans Métronom', c'est que le fond n'a pas changé et on est 20 ans plus tard. 

J.-L. S.- Tu es un homme de la cité, peu perché dans sa tour d'ivoire. Ton atelier ouvre sur la rue. Est-il vital que l'artiste s'intéresse à ce qui se passe alentour ? 

E. C.- Un artiste a la chance d'avoir ce rôle là. Pour moi, être dans une tour d'ivoire ce serait destructeur. D'où ma démarche avec cette boutique (voir adresse ci-dessous. NDLR) qui est ouverte sur l'extérieur. Les gens rentrent, discutent cinq minutes. Je me suis fait des tas de connaissances. Il y a des musiciens, des historiens qui m'enrichissent, comme je les enrichis. Le fait d'avoir pignon sur rue permet l'échange. Et je pense que c'est par l'échange qu'on avance. 

J.-L. S.- La question marronnier, enfin. Quels sont tes projets ? 

E. C.- J'ai un gros projet avec Espé. Ça s'appellera Médoc. C'est un projet sur le vin. Ça va parler d'un château, d'une famille qui travaille autour du vin. Ce sera une saga familiale. 

Propos recueillis par Jean-Louis Savignac.

Bordeaux 6 avril 2010

* Corbeyran- 96, cours Balguerie Stuttemberg Bordeaux 

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  • Journaliste de presse écrite. Dessinateur de presse, caricaturiste. Dessins pour la télévision. Croquis judiciaires. Animations graphiques. Retraité du journal L'Yonne-Républicaine. Travaille depuis 2011 pour le journal Sud Ouest
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